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Le grand paradoxe des "girly girls"

Sexiste et féministe, pétillant mais nunuche, valorisé et critiqué, adoré ou détesté, le girly n'a pas fini de créer le débat. Mais où est le problème à la fin ?


Elle aime le rose, le maquillage, les robes à fleurs, les histoires romantiques et les petits animaux tout mignons. C’est la "girly girl".


Cette jeune fille ou femme choisit de s’habiller dans un style typiquement efféminé et correspond aux rôles traditionnels associés au genre féminin.


Archétype récurrent de la pop culture, sa fonction principale est d’incarner des valeurs et une esthétique propre à l’image de la féminité idéale.



Si cette description vous donne la nausée, c’est normal. Car le terme "girly" est un mot connoté et condescendant qui se moque des goûts et des centres d’intérêts féminins.


Fantasme patriarcal pourtant valorisé au premier abord, la fille girly doit se contenter d’un rôle normé et est moquée pour sa soit disant absence de sérieux et d'intelligence.


Si elle aime les jolies choses, elle est matérialiste et un brin superficielle. Si elle rêve d’histoire d'amour, c’est qu’elle est un peu trop sensible et naïve. Pas vraiment futée, ses passions sont vues comme limitées, son univers est infantilisé.


Selon Célia Sauvage, enseignante-chercheuse en études cinématographiques et audiovisuelles, "un personnage girly est d’abord défini par sa performance de genre. Le terme désigne une féminité « over the top, too much », une démonstration trop intense de la féminité."


“Ce qui est plutôt ironique c’est que « girly girl » est une répétition absurde insistant lourdement sur la féminité prononcée d’un personnage. L’emploi du terme en anglais le rend d’autant plus superficiel et dissimule à peine le mépris sexiste derrière le terme girly”.

Pourtant omniprésente dans les œuvres culturelles, la girly girl est vue comme une entrave au féminisme et la lutte contre les stéréotypes normatifs de genre, ramenant la femme à son rôle d’objet de désir.


Souriante, optimiste, gentille, pétillante, douce, elle a comme fonction principale d'être attirante aux yeux d’un bon parti potentiel.


"À l’image des premières princesses Disney, les girly girls sont des réécritures modernes de ce rôle considéré comme passif", détaille Hélène Breda. Enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication, elle étudie la représentation des identités culturelles à l'écran.


"Dans Sex and the City, on a Charlotte qui est fleur bleue et rêve de mariage, dans Girls c’est Shoshana par exemple. Ce sont des filles entre guillemets un peu chochottes, pas très dégourdies qui attendent leur prince sans capacité d’agir", remarque-t-elle.


Il n’est donc pas rare d’opposer les girly girls à des personnages de "tomboy" (garçon manqué), ou de "cool girl" qui aiment le sport, les grosses voitures ou encore jouer de la guitare, et n’y connaissent rien en rouges à lèvres.


Oui, comme si on ne pouvait pas être tout ça en même temps. #lèvelesyeuxauciel


Beaucoup de jeunes femmes intériorisent alors ces préconçus misogynes, considèrent qu’elles "ne sont pas comme les autres filles" et tirent la langue aux codes de la féminité.


"Enfant, je criais que je détestais le rose, que je n'étais pas une vraie fille, que les filles c'était naze et que moi, j'étais une rebelle en pantalon. Mais petit à petit, j'ai accepté que c'était ok d'aimer des trucs doux et mignons et que ça ne faisait pas de moi une cruche !", confie Lauren Deguitre, comédienne.


“Assumer une ultra-féminité n’est pas nocif en soi. Les personnages girly ne sont pas des personnages à bannir”, assure Célia Sauvage. “Ce serait plutôt le terme girly qui devrait être banni. Il incarne un stéréotype négatif rejeté par de nombreuses femmes qui ne veulent pas être perçues comme superficielles, immatures.”

Au contraire, ce qui est perçu comme masculin est loin d'être dévalorisé, questionné comme inférieur ou infantilisant. Les histoires racontées du point de vue d'un homme font office de modèle sur lequel se projeter.


"L’enjeu derrière le terme girly est bien féministe. Pourquoi genre-t-on au féminin certains films, certaines pratiques, certains personnages mais jamais au masculin ? Car le masculin reste neutre, reste la norme supposément universelle à laquelle doivent se rattacher l’ensemble des spectateur·rices. Les jeunes filles s’habituent très jeunes à s’identifier à des personnages masculins, à des récits au masculin. L’inverse n’est pas vrai, ce qui prouverait que les films girly ne peuvent pas s’adresser à tout le monde, mais bien uniquement aux filles", détaille Célia Sauvage.

Dans une interview pour l’Obs en 2016, la bédéaste Pénélope Bagieu, qui venait de publier Les Culottées, s’est vue ainsi obligée de remettre une énième fois les points (en forme de cœur) sur les "i".


"À vos débuts, on vous a érigée en chantre de la BD dite « girly ». Aujourd’hui, vous sortez un album explicitement féministe. À quel moment estimez-vous avoir pris un tournant ?", lui demande la journaliste.


"C’est la même chose. Je n’ai jamais changé de discours depuis le début. Je n’ai jamais changé d’envie de raconter des histoires.", rétorque-t-elle. "La BD girly, qu’est-ce que c’est, sinon un terme ultra-condescendant pour parler de l’autobiographie féminine ? Des hommes ont dit « ça reste très girly, c’est des histoires de boulot, de maternité…» Désolée d’avoir une vie de femme ! C’est marrant comme on n’a jamais trouvé un terme condescendant et insultant pour parler de l’autobiographie masculine."


Et bim.


“Désigner une culture comme girly, c’est-à-dire par ses destinataires, les femmes et symboliquement un certain type de femmes, est souvent employé de façon à moquer, ridiculiser ou réduire cette communauté de spectatrices ou de consommatrices à une cible facile et peu sérieuse”, analyse Célia Sauvage.

"Aimer « des trucs de filles, de nanas, de gonzesses », est lié à une forme de honte, autant pour les femmes que pour les hommes d’ailleurs, ce qui est symptomatique du sexisme dans nos sociétés", poursuit l’experte.



Girly ouiiiii, et fière de l'être



Dans les années 1990 et début 2000, le "girl power" et le "Riot girrrl" ont permis à de nombreuses jeunes femmes de se réapproprier tout ce qui était perçu comme ultra féminin et d’en faire une fierté.


À l’image des Spice Girls ou des Destiny's Child, on voit apparaître de nombreux groupes de filles qui sauvent le monde entre deux brushings, un tube de gloss à paillettes à la fois. Rappelez-vous des légendaires Sailor Moon, les Super Nanas, les Totally Spies, et les Winx.


La sororité et les supers pouvoirs au féminin redeviennent à la mode, comme un symbole de puissance. Les sorcières modernes envahissent nos écrans comme dans The Craft, Charmed, ou encore Sabrina l’apprentie sorcière.


Héroïnes de "chick flicks" (films destinés et conçus pour plaire aux filles), Ellie Woods dans La Revanche d’une Blonde et Cher Horowitz dans Clueless, correspondent toutes les deux a priori à l'ultime girly girl, blonde, riche, belle, et écervelée.


Mais elles vont cependant vite se dévoiler comme des jeunes femmes intelligentes et compétentes, sans jamais renoncer à leur goût pour le shopping ou le maquillage.



Dans Friends, Rachel est au départ une fille à papa riche et pourrie gâtée. Dès le premier épisode, elle renonce à son destin tout tracé et à son mariage pour trouver son indépendance, avant d’éventuellement s'épanouir dans une carrière dans la mode.


Plus tard en 2012 dans la série New Girl, Jessica Day (Zooey Deschanel) est l’incarnation d’une féminité mignonne et enfantine assumée. Elle pleure devant Dirty Dancing, adore les animaux et les nœuds dans les cheveux.


Ce qui ne l'empêche pas d’être drôle, intéressante, et féministe. Dans la saison 1, elle rappelle d’ailleurs dans un speech que sa personnalité ne veut pas dire qu'elle ne soit pas "intelligente, et coriace et forte".


Mais là encore, ces personnages restent limités par les normes de la société. À quelques exceptions près, il est difficile de trouver une girly girl qui ne soit pas mince, blanche, cisgenre et hétéro.


“Il existe des personnages de femmes ultra-féminines, indépendantes et complexes, et qui d’ailleurs peuvent se battre contre le sexisme, à l’image de l’indétrônable Buffy. Mais elle reste une femme cis et hétérosexuelle. Dans la même série, son amie lesbienne, Willow, n’aura pas le même destin et la diversité sexuelle finira toujours par peser dans la balance", rappelle Célia Sauvage.

"Buffy n’est pas un tomboy, elle est le stéréotype du féminin, c’est LA blonde, l'archétype même de la reine du lycée populaire, mais qui est intelligente, qui est forte, qui a de la ressource” confirme de son côté Hélène Breda.


"Mais ce qui peut lui être reproché c’est qu’elle devient l’incarnation d’un fantasme masculin, de la fille qui se bat en restant sexy. Ce n’est pas évident de trouver un personnage qui sorte de ces carcans", ajoute-t-elle.


Parce qu'elles correspondent donc malgré tout aux standards de leur époque, ces girly girls ont une longueur d'avance dans la course à l'émancipation.


Tout le monde il est belle


Le girly étant perçu au négatif, tout le monde n’a donc pas tout à fait le droit de se l’approprier.


En novembre 2020, le chanteur Harry Styles, qui joue depuis quelque temps avec les codes vestimentaires de la féminité, devient le premier homme à apparaître seul en couverture du magazine Vogue, et en robe, please.


Un choix éditorial célébré à Hollywood, mais qui a également alimenté un discours réactionnaire, misogyne et homophobe sur les réseaux sociaux. Autrice et activiste politique de l’extrême droite américaine, Candice Owens a fait beaucoup parler d’elle en raison de ce tweet :

Traduction : "Aucune société ne peut survivre sans des hommes forts. L’Est a compris ça. A l’Ouest, la constante féminisation de nos hommes se fait en même temps que le Marxisme est enseigné à nos enfants. Ce n’est pas une coïncidence. Ceci est une attaque odieuse. Rendez-nous nos hommes virils."


Réponse de l'intéressé : une photo mangeant une banane, accompagné d'un ironique "Rendez-nous nos hommes virils". Tout ça pour une robe.


Les personnes de la communauté LGBTQIA+, racisées ou aux corps non normés n’ont évidemment pas attendu un jeune homme superstar cisgenre, blanc et hétérosexuel pour bousculer les normes de genre.


Au-delà des androgynes qui cultivent une forme de mystère et ambiguïté, comme l’avaient fait Prince ou David Bowie, de plus en plus d’hommes ouvertement Queer ou personnes non binaires s’amusent avec la féminité jusqu’à parfois la pousser à son paroxysme.


Star de la série Pose, l’acteur Billy Porter porte dans la vraie vie de magnifiques robes sur les tapis rouges, ce qu’il considère à raison comme "un acte politique".


“Toute femme qui met un pantalon est considérée comme forte car le pantalon est associé au patriarcat. C'est une sorte de complexe de supériorité. Alors qu'un homme qui met une robe, c'est dégoûtant. Ce que cela nous dit c'est que les hommes sont fabuleux, et les femmes dégoûtantes", s'insurge Billy Porter.

Tout a commencé en janvier 2019 aux Golden Globes, lorsque l'artiste, un habitué de Broadway jusque là relativement inconnu du grand public, porte un costume brodé de fleurs, accompagné d'une cape rose.


"Cette tenue des Globes a tout changé pour moi. J'ai eu le courage de bousculer le statu quo" a-t-il écrit dans Vogue.


“Culturellement le girly c’est un ensemble de traits et de valeurs, codés comme féminins, qui sont tellement intégrés dans nos imaginaires depuis l’enfance qu’on va le naturaliser. Comme si c'était par essence féminin, comme si on avait un gène qui nous fait aimer le rose”, remarque Hélène Breda.

Pourtant, la division binaire "le rose c'est pour les filles et le bleu pour les garçons" est bien une construction sociale et un outil marketing créé de toutes pièces par la société patriarcale. Toujours les mêmes.


"J’aime bien le rose et j’ai plusieurs pièces de vêtements de cette couleur", sourit Jan, jeune journaliste berlinois passionné de football. "J’ai commencé à le porter il y a cinq ans environ. Au début, je sentais que je devais m’expliquer, parfois les gens étaient surpris. Mais maintenant je suis totalement à l’aise !", se réjouit-il.


Quoi de plus délicieusement subversif donc de voir un Bilal Hassani en perruque et look glamour chanter qu'il est "un roi" à l'Eurovision, ou que ces garçons sur TikTok dansant en petite jupette.




En dehors de l’aspect esthétique, les centres d'intérêt vus comme girly présentent tout un tas de bénéfices pour le développement personnel. Pour toute personne, quel que soit son genre ou son orientation sexuelle, apprécier la beauté des petites choses, accepter sa vulnérabilité, ou prendre soin de son enfant intérieur, sont des qualités indéniables.


"Danser, s'habiller joliment, cuisiner, décorer, tout cela demande de la créativité, des compétences, et de l'entraînement", note un Youtubeur à propos des personnages girly dans Pokémon (oui, tout un programme).


Valoriser et respecter les goûts considérés comme girly et les rendre accessibles à tous·tes, c’est donc permettre à n'importe qui d’exprimer son genre en toute sécurité.


Dans une chronique pour un journal néo zélandais datant de janvier 2020, la journaliste féministe Vera Alves explique comment sa fille veut porter "une robe en organza rose, avec un papillon géant dessus, et des chaussures scintillantes." Et ce malgré ses efforts pour l’élever en dehors des constructions de genre.


"Le problème n'est pas qu'une fille aime le rose, le problème est que la société définit le rose comme une couleur « girly » et l'associe à des concepts de fragilité et de faiblesse", conclut-elle.


Un peu de douceur dans ce monde de brutes, vraiment, j'insiste, ça ne fait pas de mal.

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